Alors que les premiers marins ont franchi la ligne d'arrivée du Vendée Globe, la fin du peloton sort tout juste des éprouvantes mers du Sud. Le skippeur chinois Jingkun Xu, 31ᵉ sur 33 coureurs, vient de passer l’étape symbolique du Cap Horn, la pointe de l’Amérique du Sud. Il est le premier navigateur chinois à participer à cette course autour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Pionnier de la voile en Chine, Jingkun Xu, 35 ans, est l'un des très rares navigateurs chinois professionnels et le seul à s’être lancé dans la course au large. Il a déjà relevé plusieurs défis : la navigation en solitaire autour de la Mer de Chine (2012), la Mini Transat (2015) ou le tour du monde à la voile avec sa femme (2017). Mais ses performances sont d'autant plus remarquables que Jingkun Xu a un handicap. A 12 ans, il a accidentellement perdu son avant-bras gauche en manipulant des feux d'artifices.Rien ne prédestinait ce fils d’agriculteurs à devenir marin. Né en 1989 dans les montagnes du Shandong, à l'Est de la Chine, très loin de la mer, il devient à 13 ans sprinter dans une équipe d'athlétisme régionale. Quelques années plus tard, il est repéré dans le cadre d’une campagne de sélection d’athlètes pour les Jeux Olympiques. Jingkun Xu, qui n’a jamais mis les pieds sur un bateau et ne sait même pas nager, rejoint en 2005 l'équipe paralympique chinoise de voile, une discipline quasi inexistante en Chine jusque-là.Trois ans plus tard, son équipage arrive à la 10ᵉ aux Jeux de Pékin de 2008, mais l'équipe est dissoute, la Chine ayant décidé de concentrer ses efforts sur des sports aquatiques plus pourvoyeurs de médailles. Sauf que, lui, a attrapé le virus. Il retape un vieux bateau, se lance des défis sportifs, devient moniteur de voile et ouvre une école nautique à Sanya, sur l’île de Hainan, une zone économique spéciale qui attire les capitaux étrangers. Grand rêve, petit budget : un parcours du combattant Pour participer au Vendée Globe, sans doute la course la plus exigeante et la plus dangereuse au monde, il ne faut pas seulement avoir les moyens de se payer un bateau de classe Imoca. Idéalement, il faut intégrer des structures de formation à la course au large, qui accompagnent les navigateurs dans leur préparation, il faut aussi des sponsors généreux et des chantiers navals spécialisés dans ce type de bateaux, pour pouvoir optimiser les performances de ces bolides des mers.Grosso modo, les infrastructures de la course au large n'existent qu'en France ou dans le monde anglo-saxon. Résultat, en vue de se lancer sur le Vendée Globe, Jingkun Xu vend sa maison en Chine et déménage en Bretagne en 2015. Il réussit à réunir assez d'argent pour s'acheter un vieil Imoca de 2007 qui a déjà couru quatre Vendée Globe, un bateau surnommé « SingChain Haikou » qui participe donc à son cinquième tour du monde. De tous les marins, Jingku Xu est celui qui a le plus petit budget. Il n'a d’ailleurs pas pu adapter les commandes à son handicap, et winch donc, comme tout le monde, sur un « moulin à café » classique, à deux bras, pour déployer et adapter la voilure. Depuis plusieurs années, il se forme tout seul, avec sa femme, en participant à plusieurs transatlantiques (Route du Rhum, Transat Café, New-York Vendée) qui lui ont permis de se sélectionner pour son plus grand défi, le Vendée Globe 2024-2025.Ambassadeur de la voile en Chine Son destin hors du commun et sa détermination ont fait de lui un ambassadeur de la voile en Chine. D’autant qu’il a su communiquer sur son parcours et sa passion : 130 millions de personnes suivent ses aventures sur Weibo, le principal réseau social chinois, où il poste ses vidéos et photos, partage ses coups durs, son quotidien à bord, ses satisfactions. Modeste et naturel, il incarne le rêve de l’aventure au large dans un pays qui n’a plus la culture de la voile… depuis le XVIᵉ siècle.Depuis la dynastie des Ming et l'extraordinaire expédition de l'explorateur chinois Zheng He qui a voyagé jusqu'en Inde et en Afrique du Sud, l'accès à la mer, à la navigation et aux ports, était très restreint en Chine. Il a fallu attendre les années 1980 et les politiques d'ouverture de Deng Xiaoping, le successeur de Mao Zedong, pour que la mer redevienne un espace d’exploration et d’investissements. Avec Jingkun Xu, il y a l'espoir que la voile se développe en Chine et devienne, un jour, une discipline plus populaire. Le potentiel est immense : des marinas flambant neuves ont vu le jour, les industries navales se développent, il y a de plus en plus d'évènements liés au nautisme, et on sent ces dernières années un intérêt grandissant, chez les jeunes notamment. Son livre Humble Dreamer (le rêveur humble) avait eu beaucoup de succès auprès des nouvelles générations. Ce sont eux que Jingkun Xu veut inspirer, leur montrer qu'avec ...