Petite, j’ai pris tout ce que l’on m’a donnée, et je ne l’ai pas questionné. Pourquoi l’aurais-je fait ? Il y a ceux qui savent et ceux qui écoutent. Il y a ceux qui dominent, et ceux qui obéissent. Ça commence dès l’enfance : les parents disciplinent les enfants soi-disant pour leur bien ; parce qu’ils savent, eux. Ils sont le maître ou la maîtresse…

Ceux qui savent, eux semblent tellement certains de ce qu’ils avancent qu’on ne saurait les contredire. Car ils savent. Pourquoi ? Parce que c’est comme ça. Et ceux qui savent semblent tellement accrochés au fait de détenir ce pouvoir qu’il serait dangereux de ressentir autrement. Ressentir autrement ne serait pas louable, car on ne saurait remettre en question celui qui a passé tant d’années à apprendre comment savoir.

Alors pendant des années, j’ai moi-même appris à savoir. Et puis un jour, j’ai décidé que j’avais passé suffisamment de temps à apprendre, alors j’ai considéré que je pouvais couper court car désormais, je savais.

Car oui, je savais ce que l’on m’avait enseigné ; je ne savais certainement pas ce que je pensais, ni ce que j’étais.

Puis la dépression est arrivée, et j’ai tout envoyé balader. Sa force m’a poussée à réévaluer l’ensemble de mes croyances. J’ai été contrainte de regarder différemment, et de chambarder l’ensemble de mes convictions. Je m’emploie encore à déconstruire les monuments érigés à la gloire des autres, je m’évertue chaque jour à détricoter les nœuds de mon esprit circonscrit. Car tout ce qui faisait sens avant me semble à présent absurde et insensé. J’ai été forcée d’admettre que je ne savais pas, alors à présent, je dois en faire le deuil. Détruire, raser, dissoudre, abattre les murs.

Ce cataclysme est un supplice, car je suis si farouchement attachée à ces murs. J’ai mis tant de temps et de cœur à les bâtir, mon histoire est inscrite dans leurs pierres. En ces murs, je suis en sécurité, bien emmitouflée au chaud et protégée contre les affres du monde extérieur. Mais lorsque la dépression se présenta, elle ne me laissa pas le choix :

« Ces murs qui te protègent sont ceux de ta prison. Je suis ici pour t’en délivrer, mais pour ce faire, leur destruction est inévitable. Je vais souffler si fort que des cyclones les mettront à terre. Le sol tremblera et les secouera de toutes parts. Le feu brûlera aussi longtemps qu’il le faudra. La vie si confortable que tu as vécue jusqu’à ce jour sera chassée sans relâche, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que toi. La désolation et le chaos inonderont ce lieu, et tu les endureras. Il n’y aura plus rien, si bien que toi, délestée de toute chose, tu te transformeras. »

Musique originale: Nicolas Durand & Marie Richard

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