Responsabilité personnelle et libertéIllustration : Le jugement de Salomon par Nicolas Poussin Responsabilité personnelle et liberté La responsabilité tient une place importante dans nos appréciations morales. Elle est présente sous forme d’injonction : « Prenez vos responsabilités ! ». Et on considère que l’on est quelqu’un de bien quand on a un comportement responsable. A l’inverse, reprocher à quelqu’un d’être complètement irresponsable est une façon de lui signifier qu’il est au comble de l’immoralité. La responsabilité semble même avoir détrôné les catégoriques morales qui étaient traditionnellement dominantes. Vertu et de vice sont des désignations qui paraissent désuètes. Méchanceté et bonté semblent trop naïves. Ainsi préfère-t-on parler de personnes responsables plutôt que d’individus vertueux et des irresponsables plutôt que des méchants : cela sonne mieux aux oreilles de nos contemporains. A tort ou à raison, la responsabilité semble ainsi dorénavant désigner l’attitude morale par excellence. Pourtant, ce ne fut pas toujours le cas. Est-ce un simple effet de mode ? L’explication semble un peu courte. N’est-ce pas plutôt un changement positif de la modernité qui met l’accent sur la liberté individuelle et la responsabilité personnelle qui est censée lui donner un cadre ? Mais la responsabilité n’est-elle pas aussi source de stress et de passions tristes qui piègent moralement l’individu plus qu’elle ne lui permet de s’épanouir ? En somme, que penser de cette catégorie qui a fini par s’imposer au quotidien dans notre discours moral ? I. La responsabilité : analyse générale. A. Eléments de définition. 1) EtymologieAu sens étymologie la responsabilité renvoie au verbe « respondere » : répondre en latin. Mais il ne s’agit pas tant de répondre à une question que de ses agissements. 2) La responsabilité juridiqueDans le domaine du droit, la responsabilité est, en effet, l’obligation de répondre de ses actions et de son comportement devant la justice et d’en assumer les conséquences civiles, administratives, pénales et disciplinaires. Le responsable au civil doit réparer les dommages. Au pénal, celui qui est tenu responsable et donc reconnu coupable, doit être puni pour les délits et les crimes qui lui sont imputés par un tribunal. En somme, la responsabilité juridique est évoquée quand il s’est passé quelque chose de fâcheux : dommages matériels, délits ou crimes. Quand tout va bien, on ne cherche pas habituellement des responsables. La responsabilité en droit pénal est dès lors l’étape qui précède culpabilité et condamnation. En droit civil, celle qui conduit à être tenu de verser des indemnités. La responsabilité juridique fait peser au-dessus de nos têtes l’épée de Damoclès des indemnités ou du châtiment. 3) Responsabilité morale L’idée d’un événement mauvais à prendre en compte est présente dans la transportation de la catégorie juridique dans le domaine de la société civile et de la morale privée : la promotion de la responsabilité au dix-neuvième siècle, souligne François Ewald,[i] va avec tout le développement dans l’idéologie libérale, des assurances dont les taux reposent sur le calcul des risques possibles. Être responsable, en ce sens, c’est pouvoir répondre de ce qui peut ne pas aller dans ses actions et ses conséquences prévisibles et ainsi garantir une bonne gestion de ses comportements pour que rien de fâcheux n’arrive. Reste qu’en droit comme en morale, on ne peut décemment faire valoir la responsabilité d’une personne qui a agi sans avoir conscience de ce qu’elle faisait. Une expertise psychiatrique peut ainsi conduire à déresponsabiliser l’auteur d’un délit ou d’un crime. Un enfant qui n’a pas la même conscience de ce qu’il fait qu’un adulte, doit voir aussi sa responsabilité atténuée – voire dans certains cas annulée : la responsabilité de ses tuteurs pouvant, au demeurant, être invoquée. Quand bien même la tentation serait présente, face à la gravité des faits de trouver un responsable sur lequel évacuer la colère, la justice n’est pas un simple exutoire : la défense des intérêts des victimes ne justifie pas qu’on juge coupables des personnes alors même qu’elles ne peuvent pas être tenues responsables de leurs agissements. Une personne est tenue moralement responsable de ses actes et de ces conséquences prévisibles quand elle a la capacité d’être pleinement consciente de ce qu’elle fait. B. La responsabilité : un concept–flic ? 1) Premier usage du terme « responsable »Le dictionnaire historique de la langue française[ii] rappelle que « le responsable est initialement un terme de féodalité ...